Avertissement
Il s'agit ici seulement dans cette fiche de mentionner pour
mémoire quelques aspects de l'évolution des formats dans
l'histoire du cinéma et de toucher du doigt certains problèmes
liés à leur existence.
Les films sont en effet réalisés dans des formats différents
et projetés sur des écrans aux proportions variables : si aux
origines, le format "Academy" correspondait à un rapport
entre largeur et hauteur de 1,33:1, de nos jours, beaucoup de films tournés
en 35 mm sont projetés sur des écrans larges avec des rapports
de 1,85 (films américains) ou encore de 1,66 (films européens).
Un format panoramique comme le cinémascope correspond à un rapport
de 2,55:1...
Remarquons d'emblée que la dimension et les proportions de l'image sont imposées par des données techniques : la largeur de la pellicule qui sert de support (35mm ou 70mm), et les dimensions de la fenêtre de la caméra. Il est aussi pertinent de distinguer la taille de l'image, et par là même sa qualité, sa définition, de ses proportions : les rapports sont, en effet, très divers : 1,33 ou 2,55... Enfin, notons que la taille de base de l'image peut être transformée à la projection avec usage de l'anamorphose.
Chronologie |
Type |
Pellicule
& projection |
Exemple |
1909-1927 | 1,33:1 standard des films muets image de
|
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1927-1932 | Premier format sonore 1,24:1 avec piste optique qui réduit la largeur et tend "plus au carré". 17,20 mm x 21 mm |
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1932-1950 / 1953 | Toujours piste sonore, mais on modifie la hauteur 1,37:1 standard des films sonores 15,30 mm x 21 mm |
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1,65:1 le standard européen actuel | |||
1955 | 1,85:1 standard américain ( issu du format Vistavision adopté en 1955) | ||
1953 | 2,55:1 le CinémaScope avec 4 pistes magnétiques 18,15 mm x 23,15 |
||
2,35:1 le Scope actuel obtenu après désanamorphose (la piste sonore optique réduit la largeur) 18,15 mm x 21,30 |
Quelques commentaires
Le format Academy 1.33:1 apparut au début du cinéma narratif, en 1910 ; il est resté de fait un standard jusqu'en 1927, date d'apparition du parlant. Les premiers films muets utilisent ce format, très proche du 4:3 d'une télévision.
Ce standard a dû se modifier pour permettre de donner place à la piste sonore. Le rapport est alors passé à 1,24:1, avec l'ajout d'une piste sonore optique, puis à 1,37:1 par changement de la hauteur d'image. Ce dernier format a dominé de 1930 à 1953.
Vers les années 1952/ 1953, les Américains lancent les grands formats avec, par exemple, le Panavision, le CinémaScope de type 2.55:1 qui est le plus célèbre des formats panoramiques, mis au point par la Fox en 1953 (film : La Tunique). Celui-ci utilise l'anamorphose : avec une lentille anamorphique (un objectif spécial appelé hypergonar), on compresse l'image au tournage dans sa largeur et on la décompresse à la projection. Ce format Cinémascope n'est plus utilisé depuis 1965.
Exemple d'usage de l'anamorphose en scope :
20,000 Leagues Under The Sea — 20000 lieues sous les
mers de Richard Fleischer, production Disney, avec Kirk Douglas
(1954). |
Le résultat à la projection. Ratio : 2,55:1. |
Pour rivaliser avec ce format de la Fox, d’autres compagnies ont introduit
d'autres formats panoramiques. Ils consistent à prendre
l’image standard et, en n’utilisant pas le haut et le bas, à la rendre
plus allongée, avec des rapports de 1,66:1 ou 1,85:1.
Mais, l'image étant ainsi "agrandie" se retrouve en conséquence
moins nette.
Historiquement, l'hypothèse à faire est
que ces grands formats ont été mis au point pour répondre
à la concurrence de la télévision : il s'agit, selon
certains, un peu schématiquement, de ramener le public dans les salles
avec du "grand spectacle". On peut observer que l'écran de
télévision est passé du format de 4/3 à un rapport
16/9. Il semble utile de satisfaire le spectateur et son goût du spectacle
: les grands formats donnent plus à voir et plongent en quelque sorte
les spectateurs au coeur du spectacle.
En tout cas, les grands formats changent pour les auteurs les moyens d’expression
et offrent une palette de nouvelles possibilités. Notons simplement
ici qu'un format panoramique induit à utiliser au mieux l'espace et
amène souvent à donner plus d'importance au décor, au
paysage... Les westerns et films historiques ont affectionné ces grandes
largeurs.
Le Cinérama 3:1, créé par la Paramount, fut le plus large des formats employés, à partir de 1952 : il nécessitait l'emploi de trois caméras simultanées et de trois projecteurs synchronisés. L'écran courbe accentuait l'effet panoramique. Le procédé a été abandonné en raison de la complexité de sa mise en œuvre. Exemple célèbre d'usage ci-dessous avec How The West Was Won, La conquête de l'Ouest, de John Ford, en 1962.
Avec cette image, on perçoit la difficulté à raccorder les 3 panneaux du Cinérama : le raccord se fait plutôt assez bien, à droite, calé sur l'angle de la maison, mais sur la gauche on voit nettement l'artifice par le changement de lumière. |
Vers 1954 le procédé Vistavision est employé : l'astuce technique est d'utiliser un support de 35 mm où les images sont disposées horizontalement sur la pellicule. Mais il faut un projecteur spécial pour passer dans les salles ou adapter ce format. Image de 18,30 mm x 34,70 |
En 1955, le procédé Todd-AO emploie un nouveau support de 70 mm de large. Les images peuvent être enregistrées sans anamorphose dans un rapport de 2,2:1. L'intérêt, bien sûr, est la qualité des images. Exemples de films en 70 mm : Exodus d'O. Preminger ou en France Playtime de Jacques Tati ; Ben Hur, West Side Story, Blade Runner...
Playtime de Jacques Tat sorti en 1967. Version restaurée. | |
Blade Runner de Ridley Scott sorti en 1982. |
Le problème est le grand coût financier et l'usage nécessaire
dans les salles de projecteurs de 70 mm ou d'autres, mixtes 35-70 mm.
Les formats 70 mm sont encore utilisés aujourd’hui,
même si les copies sont généralement issues d'un tournage
en 35 mm, puis agrandies ; les avantages concernent la qualité de l’image
et la reproduction sonore.
Quelques problèmes
et l'enjeu
La réception fréquente du cinéma via le canal de la télévision
ou le travail nécessaire et légitime d'analyse d'un film à
partir d'un DVD induisent quelques problèmes qu'il faut identifier
clairement. Outre les aspects techniques, intéressants par eux-mêmes,
il faut prendre conscience de la transformation de l'oeuvre filmique, pour
les images comme pour le son, voire la durée (cf. la vitesse de projection
de 24 ou 25 images/seconde), quand on visionne une oeuvre sur une télévision.
Il y a alors une série de transformations non neutres, voire de manipulations
qui peuvent trahir l'auteur et ses intentions.
Il convient d'abord de bien garder à l'esprit que le transfert d'un film sur un support vidéo, VHS ou disque numérique, provoque — outre un changement de taille de l'image à la réception — des modifications de diverses natures : cela se perçoit en termes de qualité ou de définition (nombres de pixels), de luminance ou contraste et de nuances des couleurs... Parfois même les versions du film, vendues pour le grand public, diffèrent de la version diffusée en salles par la musique, les dialogues, voire le montage ! Ces dernières transformations s'expliquent par des problèmes de droits, des phénomènes de "censure" ou d'adaptation à un public familial...
Les formats et leur histoire sont enfin liés à l'évolution du langage cinématographique, à la logique de la composition de l'image : quand de grands formats sont possibles, quand les écrans deviennent plus larges, la place du gros plan n'est désormais plus la même qu'au temps du muet. Le visage du personnage, par exemple, se perdrait dans les grandes largeurs : imaginons la Passion de Jeanne d'Arc de Dreyer en scope, elle ne pourrait être la même.
Mesurer
l'ampleur des dégâts... |
|
Toujours 20000 lieues sous les mers, de Richard Fleischer (1954). Ratio : 2,55:1 Idem ci-dessous avec Amadeus de Milos Forman (1984). |
Découpage & pan-scan en 1,33:1 |
« C'est dans le cas du CinémaScope que l'on atteint des situations
absurdes. Il est possible de respecter le format d'origine (2,35 X 1), mais
les bandes noires au-dessus et au-dessous sont très larges. L'avantage
c'est que l'image diffusée est celle voulue par le réalisateur;
ce choix de diffusion, qui respecte l'oeuvre au maximum, n'est pas le plus
répandu, loin de là. En France seule Canal+ et les chaînes
spécialisées dans le cinéma l'ont fait. Les autres préfèrent
couper l'image d'origine à gauche et à droite en l'agrandissant
pour diminuer la taille des bandes noires. Le comble de la trahison est atteint
quand on diffuse un film en Scope (2,35 X 1) en plein écran de télévision
(1,35 X 1). Pour pouvoir le faire il faut amputer l'image de près de
40%. Cela s'obtient par un procédé que l'on appelle le "
Pan-Scan ". En fonction de l'action, des dialogues, on montre la gauche,
le centre ou la droite de l'image. On effectue même des panoramiques
(mouvements d'appareils horizontaux) en laboratoire afin de centrer l'image
sur deux interlocuteurs qui parlent à tour de rôle alors qu'en
Scope on les voit tous les deux en plan fixe. Le format de télévision
16/9èmes ne résout pas le problème puisqu'il correspond
au format cinématographique 1,75 X 1 et non pas au CinémaScope
contrairement à ce que la publicité mensongère pour ces
nouvelles télévisions laisse croire. »
Xavier Remis in «Les formats panoramiques», en ligne sur http://www.ac-nancy-metz.fr/cinemav/docu/format.htm.
Recadrage fixe : Les téléviseurs 16 / 9 peuvent
faire croire aux téléspectateurs que les films en cinémascope
sont reçus sans recadrage, avec des bandes noires. C'est inexact car
le rapport largeur / hauteur de l'écran télévisuel 16
/ 9 est de 1,77:1 ; il a donc un perte de 18 à 29 % selon le type de
scope d'origine.
Il faut donc percevoir que le respect de l'oeuvre nécessite l'usage
des bandes noires en haut et bas de de l'écran. L'inconvénient
cependant est que l'image est réduite et rapetissée.
Le pan-scan ou encore pan & scan (littéralement
"panoramique et balayage") est un procédé de recadrage
mobile du film : l'image est retraitée en laboratoire pour
la vidéo, en recadrant les plans. Cela amène ainsi à
couper dans une image: par exemple, on tranche sur les deux bords, ou tantôt
à droite, à gauche selon ce que l'on considère être
la partie utile de l'image. Bien sûr, il s'agit d'une transformation
totale, d'une sorte de traduction dans le meilleur des cas, voire d'un bidouillage
pathétique du film dans le pire cas de figure. Cela amène, par
exemple, en proposant d'abord la partie gauche, puis la partie droite de l'image,
à introduire des effets du style champ/ contre-champ qui n'existent
pas dans l'original, en séparant deux protagonistes qu'on ne peut plus
voir en même temps sur une image réduite.
La perte d'informations et l'impact esthétique sont perceptibles à
travers de simples calculs : en adaptant au 4/3, par exemple, on perd jusqu'à
39 % pour les supports en 70 mm, 43 % pour le Cinémascope optique et
48 % pour le magnétique.
Le choix DVD/ VHS
Ce simple exemple du Fabuleux destin d'Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet (2000) permet la comparaison d'une image issue d'un DVD et une autre d'une cassette VHS : on mesure l'ampleur de la perte, dans ce cas spécifique, avec l'adaptation au format 1,33:1 pour la cassette ; ici 43% de l'image sont perdus.
format d'origine conservé en 2,35:1 |
format adapté en 1,33:1 |
Cet exemple brutal permet de comprendre qu'il faut explicitement savoir sur quoi l'on travaille quand on visionne pour analyse un film ; le choix du support est tout sauf innocent.
Même entre DVD, il convient d'être attentif, un exemple des Oiseaux d'A. Hitchcock pour l'illustrer. Certes, la perte est moindre.
The Birds (1963) |
The Birds (1963) |
De la couleur manuelle aux procédés photographiques
Très tôt, des films en couleurs ont été réalisés pour séduire le public ; Méliès vers 1900 use déjà ainsi de la couleur dans le Manoir du diable, film de deux minutes tourné en noir et blanc en 1896. Mais en ces temps primordiaux les films étaient peints image par image au pinceau, avec une loupe. En raison de la lenteur et du coût, cette technique de coloration fut remplacée par le procédé du pochoir ; la firme Pathé en 1905 adopte et perfectionne cette technique (procédé Pathécolor) et l'automatise avec une machine.
On a aussi utilisé un temps pour donner une ambiance ou créer une atmosphère des procédés de colorisation à base chimique : par exemple, le vert pour les paysages, le bleu pour la nuit...
Puis, durant de longues années, on a tenté de mettre au point de nombreux procédés pour obtenir la couleur. On en a ainsi répertorié des dizaines comme le système Roux-Color qui usait de la synthèse additive des couleurs à partir d'un film noir et blanc, grâce à un jeu de filtres. Le Baby-Color a été utilisé par Pathé pour des films commerciaux : il fonctionnait avec des filtres tournants...
Mais les films en couleurs n'ont connu véritablement le succès
qu'à partir de 1932, lorsque la société Technicolor a
perfectionné ses procédés et inventé une caméra
révolutionnaire trichrome ; en effet, le Technicolor en deux couleurs
est bien plus ancien et remonte à 1915. Exemples de films: Disney utilise
ce procédé en 1932 dans un dessin animé, Flowers
and Trees, de court-métrage ; Becky Sharp est un long
métrage de Lowell Sherman et Rouben Mamoulian, en 1935; Autant
en Emporte le Vent, 1939.... Ce procédé industriel donne
une forme de suprématie technique au cinéma hollywoodien.
Le Technicolor, procédé « trichrome
» mis au point Herbert T. Kalmus, utilise trois couches photographiques,
chacune ayant une couleur primaire différente ; leur superposition
permet de reproduire l’ensemble des couleurs du spectre lumineux)
A partir de 1950, l’avènement des films couleurs modernes rend obsolètes
les caméras à trois films distincts, on utilise alors le procédé
Technicolor uniquement pour le tirage de copies. Il a été ensuite
abandonné pour son coût.
Il faut ici observer que les films en couleur ont coûté encore longtemps cher et que leur production posait de nombreux problèmes techniques. En conséquence, ils ont remplacé les films en noir et blanc beaucoup plus lentement que le parlant n'a succédé au muet. Ainsi, en 1954, on réalisait encore la moitié des films en noir et blanc. Le noir et blanc a certainement un intérêt esthétique, mais il implique aussi une autre perception du monde, un autre mode de lecture du film : on peut ainsi le concevoir «non plus comme l’absence de couleur mais comme un moyen de mener le film sur la voie de l’abstraction, et cela dans le sens où il oblige le spectateur à compléter et comprendre l’image qui lui est présentée.», selon « La couleur de l’Histoire au cinéma : une question d’interprétation», texte en ligne : http://www.ens-lsh.fr/assoc/traces/archives/quatre/pdf/couleur-de-histoire.pdf.
Aujourd’hui, la couleur est obtenue au cinéma par des procédés
photographiques : tous les procédés reposent sur le principe
de la trichromie... Les procédés actuels dérivent du
procédé Eastmancolor (Kodak), répandu
à partir de 1950. D’autres fabricants ont adopté des techniques
similaires (Agfa, Fuji) pour les films de prise de vues et le tirage des copies
couleurs. en gros, tous ces procédés proviennent de la mise
au point du Kodachrome et de l’Agfacolor
en 1936.
À la prise de vues, on utilise un unique film négatif comprenant
trois couches d’émulsion superposées qui ne sont impressionnées
chacune que par une seule couleur primaire. Après un développement
chromogène, on obtient un négatif en couleurs complémentaires.
Ce négatif est ensuite tiré sur une émulsion positive
semblable au négatif, également composée de trois couches
sensibles. Les couleurs du sujet s’y trouvent donc restituées par synthèse
soustractive.
La colorisation électronique des films
Depuis les années 1970 des procédés informatisés (comme ceux de Wilson Markle...) permettent de coloriser électroniquement des films en noir et blanc et de réduire considérablement le temps nécessaire aux graphistes pour cette transformation en couleurs.
De plus, depuis deux décennies environ, la télévision en France exige la couleur pour ses émissions en début de soirée ; on a donc eu l'idée de coloriser des films à succès d'autrefois que certains jugent non diffusables autrement pour le grand public (citons des films comme Mélodie en sous-sol avec Gabin, La vache et le prisonnier avec Fernandel, La belle américaine avec de Funès...). Des perspectives commerciales, en termes de parts de marché, ont ainsi amené à coloriser des films, et généralement plutôt des produits destinés à divertir, pour la télévision ou la vidéo. Les grands classiques du cinéma semblent cependant encore préservés chez nous.
Aux Etats Unis, cependant, on peut voir certains films de John Huston, comme Asphalt Jungle, colorisés, mais en France les héritiers de J. Huston se sont opposés à la transformation ; un arrêt de la cour de Cassation prononcé contre l'éditeur Ted Turner interdit ainsi toute exploitation de l'oeuvre modifiée sans le consentement de l'auteur. Les tribunaux français, s'appuyant sur le droit au respect de l'œuvre, ont donc considéré que la colorisation était de nature à porter atteinte au droit moral des auteurs.
De nombreux cinéastes se sont aussi élevés contre la
colorisation qui dénature les films et ne respecte pas les choix de
l'auteur. Le noir et blanc, par exemple, peut donner aux films "noirs"
ou fantastiques une atmosphère qui les caractérise et un cinéaste
peut l'avoir choisi intentionnellement et non par défaut. Il est aussi
assez évident qu'avec la colorisation le travail artistique du directeur
de la photographie sur les images et celui du réalisateur sur le plateau
de cinéma sont bien peu pris en compte et compris.
Bertrand Tavernier lutte ainsi depuis des années pour préserver
le droit des cinéastes à être «les seuls maîtres
de l'intégrité de leur oeuvre», à contrôler
le montage final de leurs films, à lutter contre la colorisation ou
les spots publicitaires intempestifs sur certaines chaînes la télévision
qui sont d'autres types d'atteintes au cinéma.