The Life of an American Fireman : la grammaire du montage

Un happy end qui fait comme l'histoire et qui bégaie...

Titre original : The Life of an American Fireman
USA, tourné en 1902, sortie du film en 1903, 5 minutes (425 pieds).
Réalisateur : Edwin S. PORTER
Edison Manufacturing Company production
Avec Arthur White - le chef des pompiers, Vivian Vaughan - la jeune femme, Arthur White - le pompier...

 

Les images ci-dessus, extraites d'un film bref d'Edwin S. Porter de 1902 / 1903, montrent une étape dans la construction de la logique narrative cinématographique. Ce court métrage semi-narratif de 5 minutes montre en le dramatisant un incendie et l'intervention des pompiers; cet hommage aux soldats du feu est encore construit dans une logique juxtapositive, avec la succession de divers tableaux. Cela dit, le film, complexe et novateur, se déroule en plusieurs lieux et sur plusieurs temps : c'est le montage qui enchaîne diverses scènes pour construire une continuité narrative. C'est aussi un des premiers films à montrer un gros plan, réalisé sur une boîte d'alarme.

A l'ouverture du film, par ailleurs, une surimpression permet de voir les pensées ou plutôt le rêve d'un pompier en faction. E.S. Porter invente donc beaucoup dans un de ses premiers films montés.

Ce film permet de voir comment Porter traite le problème du point de vue, avec une logique de montage qui ne serait pas celle d'un contemporain.
En effet, après l'arrivée des pompiers sur la scène de l'action (photogramme 2), on assiste donc une première fois aux événements à l'intérieur de l'immeuble en feu ; les pompiers secourent la mère (photogrammes 3 et 4), puis son enfant (photogramme 5) menacés par l'incendie. Les victimes sont évacuées par la fenêtre et les deux pompiers continuent à lutter contre le feu dans l'appartement (photogramme 6).

La caméra passe ensuite à l'extérieur, retournant à la rue et aux pompiers (photogramme 7), mais le temps alors semble comme revenir en arrière et la scène se répète, perçue cette fois de l'extérieur. La mère appelle ainsi au secours (photogramme 8), on va la secourir ; elle implore (photogramme 10) que l'on aille chercher son enfant, ce qui est fait. Le happy end semble ainsi être souligné à deux reprises: un même événement de l'histoire est montré, présenté deux fois dans le discours filmique ; mais la scène est filmée de deux points de vue différents avec le regard d'un narrateur plutôt omniscient qui sait et voit ce qui se passe dedans et dehors. Le regard passe de l'espace intérieur, privé, à l'espace extérieur, public. Ces deux espaces communiquent par le biais de la fenêtre qui permet de construire un espace hors champ.

Nous sommes en 1903 : les spectateurs n'ont ni le regard ni les habitudes de réception du public de notre époque; Porter n'a donc pas procédé comme le ferait un montage « moderne », fusionnant et alternant les points de vue extérieur et intérieur pour dramatiser. Les spectateurs ainsi n'ont pas à inférer, à imaginer ce qui se passe à l'extérieur pendant les secours vus de l'intérieur, du côté des victimes; cela leur est explicité, et le discours filmique se répète pour construire ses tableaux à effets.

Les divers plans / scènes du film :

1. La vision / le rêve du pompier : intérieur. 2. Gros plan sur une alarme incendie dans une rue.
3. La caserne des pompiers (intérieur; vue du dortoir). 4. La caserne : le dépôt et les voitures
5. Extérieur : sortie des voitures de la caserne. 6. Traversée de la ville : passage des voitures.
7. L'immeuble en feu vu de l'extérieur. 8. L'intérieur de l'appartement en feu (chambre) et l'arrivée des secours.
9. Retour à l'extérieur: sortie et sauvetage des victimes.

NB Les photogrammes proviennent de deux sources, d'où la différence de qualité.